Anomalies dentaires chez un enfant atteint d’un Neuroblastome

by Stéphanie Labbé, DMD

Introduction
Le neuroblastome est une tumeur dérivant du système nerveux périphérique, se développant à partir des cellules embryonnaires de la crête neurale.1,2 Selon une étude menée en France en 2004, 45% des tumeurs pédiatriques sont diagnostiquées avant l’âge de 5 ans. Au sein de ce groupe, 71.8% reçoivent un diagnostic de tumeur embryonnaire, incluant le neuroblastome.1 Il est reconnu au sein de la communauté dentaire et médicale que des traitements de chimiothérapie et radiothérapie en jeune âge auront des impacts, aigus et chroniques, sur la cavité buccale. Ceux-ci incluent des troubles du développement cranio-facial, de salivation, des articulation temporo-mandibulaires et du développement dentaire.3 La formation des structures dentaires débute lors du 4e mois in-utero, pour se terminer à 16 ans avec la complétion des racines des secondes molaires.4 La chimiothérapie et la radiothérapie pendant l’odontogenèse auront comme conséquence des dommages permanents aux tissus dentaires.2,5 Les racines dysplasiques (incluant un ratio couronne-racine anormal), l’hypoplasie de l’émail, la microdontie et l’hypodontie font partie des conséquences reconnues des thérapies néoplasiques chez les enfants.3,5 Selon le National Institute of Health (Effinger, 2014), la prévalence de l’hypodontie suivant le traitement d’un cancer pédiatrique varie entre 8 et 50%, en fonction de l’âge du diagnostique et les traitements reçus.3 De plus, selon une étude parue dans le Pediatric Blood Cancer (Cubuku, 2012), 13.5% des patients ayant reçu un traitement de chimiothérapie combinée ou non à la radiothérapie, présentent de la microdontie. Lors de la même étude, il a été démontré que 86.4% des patients présentaient un ratio couronne-racine altéré.5,6

Histoire de cas
En Octobre 2007, un garçon de 3 ans se présentait aux urgences de l’Hospital for Sick Children of Toronto. Précédemment en santé, il sera diagnostiqué d’un Neuroblastome stade IV, localisé sur la glande surrénale gauche. Suite à l’examen complet en oncologie, le patient présentait des métastases à la moelle épinière, aux os et dans les ganglions lymphatiques.

Le protocole Haut risque A3973 de chimiothérapie a été débuté peu de temps après le diagnostique. Le patient aura reçu au total: Doxorubicin 300 mg/mg, Vincristine 8 mg/m2, Cyclophosphamide 16.9 g/m2, Etoposide 2552 mg/m2, Carboplatin 1700 mg/m2, Melphalan 110 mg/m2, Cisplatin 400mg/m2. De plus, une résection complète de la tumeur a eu lieu en Mars 2008, suivie d’une transplantation autogène de cellules souches en Avril 2008. Par la suite, le patient a reçu un traitement de radiothérapie, concentré au niveau de l’abdomen gauche, cumulant un total de 2160 cGy divisé en 12 sessions. Le traitement de radiothérapie s’est terminé en Juin 2008 et le patient a ensuite été placé sur un traitement de maintenance à l’acide cisretinoïde, terminé en décembre 2008.

Au niveau dentaire, la clinique dentaire de l’Hospital for Sick Children of Toronto, recevait une référence pour consultation en 2014, provenant d’un dentiste pédiatrique de la région, afin d’effectuer les restaurations de dentisterie opératoire. À ce moment, ce dentiste avait déjà établi un diagnostique d’agénésie dentaire et de ratio couronne-racine anormal. L’évaluation radiologique du 23 Juin 2014 (Fig. 1) révèle une dentition mixte, avec les dents 55, 65, 75 et 85 retenues. Les dents 15, 25, 35 et 45 sont absentes. Un ratio couronne-racine anormal généralisé, et particulièrement sévère au niveau des molaires, est aussi observé. Au niveau de la furcation de la 75, une zone radiopaque oblongue, homogène et bien définie est notable. Cette dernière, qui semble une zone calcifiée, présente un fin pourtour radiotranslucide et n’a aucun effet sur les structures avoisinantes. Cette même zone est visible sur la radiographie rétro-coronaire, mais peut être facilement confondue avec la crête osseuse inter-radiculaire (Fig. 2).

Figure 1

Radiographie panoramique du 23 Juin 2014.

Figure 2

Radiographie rétro-coronaire du 23 Juin 2014.

Lors d’un rendez-vous de suivi en Juillet 2015 à l’Hospital for Sick Children of Toronto, 2 radiographies rétro-coronaires ont été effectuées (Fig. 3). La même zone radiopaque, oblongue, homogène et bien définie est identifiable. Une zone radiotranslucide de plus grande ampleur est notée au niveau apical de la zone calcifiée. La zone radioclaire est en continuité avec la pulpe de la dent 75. Une évaluation par un radiologiste dentaire en Septembre 2015 vient à la conclusion que la zone en question est compatible avec de la résorption externe. Aucun examen supplémentaire n’a été effectué à ce moment.

Deux radiographies rétro-coronaires ont également été effectuées lors d’un rendez-vous de suivi en Août 2016 (Fig. 4). La même zone radiopaque est observable et semble avoir conservé la même forme. De plus, elle semble avoir migré apicalement par rapport à la dent 75 et dépasse maintenant le niveau de la crête osseuse. La zone translucide au pourtour de la calcification est plus large, mais toujours bien délimitée, et s’apparente avec un processus de résorption. La pulpe de la dent 75 semble incluse dans le processus de résorption.

Figure 3

Radiographie rétro-coronaire du 9 juillet 2015.

Figure 4

Radiographie rétro-coronaire du 2 août 2016.

Finalement, en août 2017, un dernier examen radiologique a été effectué. Sur la radiographie panoramique (Fig. 5), il est possible d’apprécier le ratio couronne-racine anormal et généralisé. Nous notons également une hypoplasie de l’émail des deuxièmes molaires permanentes. Les deuxièmes molaires primaires sont toujours retenues (55, 65, 75 et 85). Sur la radiographie rétro-coronaire (Fig. 6), nous observons toujours la même forme calcifiée, homogène et bien délimitée. Une zone radiolaire linéaire au centre de la structure radiopaque est observée. La structure paraît présenter une couronne, ainsi qu’une racine complètement développée, et un canal pulpaire. La dent 75 apparaît en partie recalcifiée, bien qu’une zone de résorption soit toujours présente autour de la partie apicale de la masse radiopaque.

Figure 5

Radiographie panoramique du 22 août 2017.

Figure 6

Radiographie rétro-coronaire du 22 août 2017.

Au niveau symptomatique, le patient ne rapporte aucune histoire de douleur dentaire, spontanée ou provoquée par le chaud ou le froid. Aucune anormalité n’a été notée à la palpation de la crête osseuse. Des tests pulpaires ont été effectués sur la dent 75, avec comme témoin la 85. Les deux dents réagissaient normalement à la percussion, au sondage et à la palpation. La dent 75 présentait une réponse plus sensible, comparée à la 85, correspondant à un diagnostic de pulpite réversible (Figs. 7 & 8). Notez que les lésions carieuses visibles sur les radiographies ont été restaurées.

Figure 7

Photographie intra-orale.

Figure 8

Photographie extra-orale.

Discussion
Bien que les thérapies oncologiques multimodales sont les principales responsables des défauts de développement dentaire, il a été soulevé dans un article du Oral Oncology (Abadie, 2014) qu’il y aurait une association entre le neuroblastome et l’agénésie dentaire, due à un défaut génétique sous-jacent.6 Lors de l’étude menée par l’équipe Abadie et al (2014), 80% des patients présentant une agénésie dentaire présentaient également une amplification du gène MYCN.6 Ce dernier, un proto-oncogène, est manifesté dans les neuroblastomes de stade avancé, mais est aussi exprimé lors de la formation de la crête neurale. Via l’inhibition des régulateurs négatifs du signalement Wnt, cascade de développement embryonnaire, le gène MYCN stimule la prolifération cellulaire du neuroblastome. De plus, une mutation du gène PHOX2B, un facteur de transcription, aussi impliqué dans la cascade Wnt, a été identifiée dans des cas sporadiques de neuroblastome. Le SMX1, impliqué dans le développement embryonnaire de la crête neurale, est aussi reconnu comme ayant un rôle dans l’agénésie dentaire.8 En effet, lors d’une délétion homozygote des gènes MSX1 ou PAX9 (aussi identifié dans les cas d’agénésie dentaire), le développement de la dent est arrêté au stade de bourgeon.8,9 Fait intéressant, il a été identifié que lors de l’activation du PHOX2B, l’activité du SMX1 est diminuée.6,8 Finalement, une perturbation dans la cascade de signalement Wnt est déjà reconnue comme reliant une prédisposition au cancer et des anomalies dentaires, comme dans le cas du syndrome de Gardner. Avec l’implication du gène PHOX2B dans le signalement Wnt, et son rôle dans le développement du neuroblastome, la relation potentielle entre ce dernier et l’agénésie dentaire serait à considérer.6

De retour à l’histoire de cas, la zone calcifiée identifiable sur les radiographies depuis 2014 pourraient en fait représenter la dent 35, hypoplasique, et ayant fait éruption au sein de la molaire primaire correspondante. Le diagnostique différentiel comprend également une microdens surnuméraire, mais ce dernier est moins probable. Avec l’étude des anciennes radiographies, il est possible de noter le développement radiculaire de la 35 au fil des années. Pour ce qui est des avenues de traitements, plusieurs possibilités sont à envisager. Pour l’instant, la dent sera simplement suivie, en l’absence de signes et symptômes d’infection ou de pulpite irréversible. Dans ce dernier cas, l’extraction des deux dents sera à considérer, un traitement endodontique étant peu envisageable. Il est possible de se questionner sur l’éruption de la microdens 35. Fera-t-elle éruption à travers la paroi dentaire de la 75?

De plus, le fait que les dents 15, 25, 35 (potentiellement) et 45 sont congénitalement absentes peut laisser envisager une cause directement reliée au neuroblastome, ou encore aux traitements associés. En effet, de développement des dents est influencé par les facteurs environnementaux au sein des quels elles se développent.

Conclusion
En conclusion, l’association entre les traitements de radiothérapie et chimiothérapie en jeune âge ont un effet sévère et permanent sur la dentition. Il est intéressant de noter que non seulement les thérapies néoplasiques sont responsables de dommages permanents, comme l’agénésie dentaire et la microdontie, mais qu’une prédisposition génétique possible des patients atteints d’un neuroblastome pour l’agénésie dentaire peut également être en cause. OH

References

  1. Galmiche L. Prise en charge anatomo-pathologique des tumeurs pédiatriques. Revue francophone des laboratoires. 2017; 488: 49-58
  2. Avsar A, Elli M, Darka O, Pinarli G. Long-term effects of chemotherapy on caries formation, dental development, and salivary factors in childhood cancer survivors. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2007;104(6):781–9.
  3. Effinger K, Migliorati C, Hudson M, McMullen K, Kaste S, Ruble K, Guilcher G, Shah A, Castellino S. Oral and dental late effects in survivors of childhood cancer: a Children’s Oncology Group report. National institute of health. Support Care Cancer. 2014 July ; 22(7): 2009–2019.
  4. Logan WHG, Kronfeld R. Development of the human jaws and surrounding structures from birth to the age of fteen years. J Am Dent Assoc 1933;20(3):379-427 (Dental Growth and Development, American Academy of paediatric dentistry)
  5. Cubuku CE, Sevinir B, Ercan I. Disturbed dental development of permanent teeth in children with solid tumors and lymphomas. Pediatr blood cancer 2012; 58: 80-84
  6. Abadie C, Lechaix B, Gandemer V. Neuroblastoma and tooth abnormalities: A common history? Oral Oncology 2013; 49: 11–13
  7. Koppen A, Ait-Aissa R, Hopman S, Koster J, Haneveld F, Versteeg R, et al. Dickkopf-1 is down-regulated by MYCN and inhibits neuroblastoma cell proliferation. Cancer Lett 2007; 256: 218-228
  8. Revet I, Huizenga G, Chan A, Koster J, Volckmann R, Van Sluis P, Ora I, Versteeg R, Geerts D. The MSX1 homeobox transcription factor is a downstream target of PHOX2B and activates the Delta-Notch pathway in neuroblastoma. Exp Cell Res. 2008; 314(4):707-19
  9. Y. Wang, H. Kong, G. Mues1, R. D’Souza. Msx1 Mutations: How Do They Cause Tooth Agenesis? J Dent Res 2011; 90(3):311-316

Dr. Stéphanie Labbé is a dental resident in the Department of Dentistry at the Hospital for Sick Children in Toronto, Ontario, Canada.

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